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- Le 1 juin 2017
Portrait de Patrice Cheramy (GE 81), Directeur Général du Crédit Agricole Atlantique Vendée
Comment êtes-vous arrivé dans la banque ?
A ma sortie de l’école, j’étais intéressé par l’export dans le domaine de l’agroalimentaire. Et en fait, je me suis retrouvé dans la banque de proximité, en France. En fait, à ce moment-là, pour des raisons personnelles, je ne souhaitais plus partir. Pour l’anecdote, ma femme étant allemande, je fais de l’international à la maison !
En fait, notre projet professionnel est aussi fait d’opportunités qu’on saisit ou pas et moi j’ai saisi l’opportunité d’aller travailler dans la banque.
Au début, je me disais que ce n’était que pour quelques années, histoire de mieux connaître le monde de l’entreprise et puis finalement, ça fait bientôt 37 ans que j’y suis !
Quand on est à l’école, on ne sait pas ce que c’est une banque exactement. En fait, je me suis découvert un profond intérêt pour les créations d’entreprises, la proximité avec les acteurs du monde économique et cela correspondait bien à mon tempérament.
Dans une banque coopérative et mutualiste, j’ai découvert aussi la prise de décision sur place : rien ne remonte au siège et puis des valeurs fortes : je suis dans une banque où le dialogue est la base de toute construction bancaire.
Au fil du temps, après des expériences terrains, j’ai été conduit à des parcours de sélection interne qui m’ont amené à la fonction de directeur général
Autonomie, responsabilisation, capacité à entreprendre sur le territoire sont les sujets qui m’animent au quotidien.
Si c’était à refaire, est ce qu’il y a des choses que vous feriez différemment ?
Je ne suis pas du genre à regarder en marche arrière en disant « si j’avais su, j’aurais fait autrement ». On ne peut pas vivre de regrets. Le rôle d’un chef d’entreprise c’est viser la perfection mais ce n’est pas toujours l’atteindre. La vie professionnelle est faite de réussites, parfois d’échecs et les échecs sont parfois plus constructifs. On apprend à 20 ans, 30 ans, 62 ans aussi. Les raisonnements que l’on tenait il y a 10 ou 20 ans ne sont plus valables aujourd’hui. Il y a des fondamentaux mais il y a aussi des changements de paradigmes qu’il faut capter pour se projeter dans l’avenir.
Quels sont les fondamentaux qui restent et quels sont les changements ?
Parmi les fondamentaux de l’entreprise, il y a en premier lieu, la valeur du patrimoine humain : il ne faut jamais l’oublier : c’est ça qui crée la valeur de demain !
L’autre valeur clé selon moi, c’est la profitabilité : sans cela, il n’y a pas d’emploi, pas d’innovation ni de développement.
Autre valeur fondamentale : il est important de ne pas confondre activisme et activité.
Je dirais qu’il y a aussi la force de l’investissement rentable, qui permet de donner une capacité à innover.
Enfin, parce qu’on vit dans une société de l’immédiateté, nos entreprises sont des entreprises à transformer. Se transformer demande du temps et de l’appropriation de la part des hommes. Une entreprise qui se restructure en 10 mois, c’est possible sur le plan technique mais sur le plan humain cela demande du temps. L’environnement va plus vite, on ne peut pas aller plus vite tout seul, il faut guider, accompagner les collaborateurs dans le changement. On voit bien que les changements génèrent des inquiétudes. Il faut aider les collaborateurs à se projeter à long terme.
Voyez-vous d’autres éléments de changement ?
Il y a un vrai élément de changement, c’est toute la question de la numérisation qui va s’installer de façon significative dans l’entreprise. Cela peut être de nature à faciliter un certain nombre de choses, notamment en libérant le collaborateur de certaines tâches répétitives et en lui permettant de se recentrer sur la valeur à apporter à l’entreprise.
Il faut être en mesure d’accélérer le mouvement, de raisonner de manière agile. Dans l’univers du numérique, les offres se construisent progressivement, étape par étape et ne sont pas forcément finalisées dès le début.
C’est pour cela que nous avons lancé le village de l’innovation qui accueille et accompagne un certain nombre de start up. Cela permet de construire un modèle avec un écosystème d’entreprises, d’enseignement, de recherche pour favoriser cette transformation des start up.
Quand on parle changement de paradigme, il faut avoir une vision du contexte économique et politique et en même temps, je continue à penser qu’il y a un environnement très porteur pour les jeunes qui arrivent sur le marché du travail.
Avez-vous connu un échec qui vous a permis de rebondir ?
Au-delà des échecs, je crois surtout à la force de l’expérience terrain, humaine, ou de l’expérience avec les clients. Ce sont des sujets qu’on apprend souvent de façon théorique à l’école. J’ai commencé à apprendre mon métier en étant confronté aux problématiques du terrain, du client. Il ne faut pas négliger cet aspect-là. L’expérience terrain a un sens. Souvent on omet cette expérience terrain et pourtant, qu’on soit une start up ou pas, on est vite confronté à des problématiques de cette nature là.
Un échec ça peut être dû à une erreur d’évaluation d’un marché, de l’acceptation des hommes sur un projet. Il faut trouver le juste équilibre entre avoir un temps d’avance et être trop en avance sur son temps. Parfois je me suis planté car j’étais trop en avance et ça ne marche pas.
Pour moi, le 2ème type d’échec vient quand on pense que c’est la technologie qui transforme. Lorsqu’on doit associer automatisation et humain, la vitesse de la transformation se fait à la vitesse de l’humain et pas de la technique car les hommes ne sont pas toujours prêts. Il faut respecter un temps d’assimilation sinon on se trompe.
J’aime bien quand vous rappelez la force de l’expérience terrain. Aujourd’hui, on est beaucoup dans le test and learn : ça devient un mode de gestion de projet…
On a parfois un prisme purement économique et le reste on le laisse de côté. Parfois de jeunes consultants sans expérience terrain ont un raisonnement purement économique. Ces jeunes-là, avec 4/5 ans d’expérience terrain, n’auraient pas tenu le même raisonnement là. Dans nos entreprises, c’est pareil.
J’insiste beaucoup sur la force de l’expérience. Dans les start up, le problème souvent ce sont les réseaux, les marchés, l’offre commerciale à construire, l’élaboration des contrats. Ce n’est pas la question technologique.
Qu’auriez-vous envie de dire à nos jeunes ?
Ce que j’ai envie de dire à des jeunes : l’expérience terrain est essentielle !
Le paradigme actuel de notre environnement pose une vraie question sur la capacité et l’esprit d’entreprendre. C’est vers ça qu’il faut qu’ils se dirigent. Cela ne veut pas dire forcément créer une entreprise dès le début. Mais je me construis une expérience dans une entreprise et après je me lance.
L’enthousiasme aussi ! Il n’y a pas de réussite sans enthousiasme. Il y a des équipes qu’on conduit. C’est se dire que dans cet environnement, j’ai un rôle à jouer, que je sois dans une ONG, start up, entreprise, peu importe ! Et je ne suis pas seul ! Un projet ne se construit pas seul : je suis connecté à des réseaux professionnels, des salariés, fournisseurs, clients. Je m’appuie sur tout un environnement.
Je dirais à des jeunes d’être attentifs à cet environnement, on ne sera pas le pdg d’une grosse boîte demain matin. Un parcours se construit progressivement il est fait aussi d’opportunités : on saute dans le train ou pas. C’est aussi la question de la prise de risque.
Je leur dirais aussi que le monde dans lequel ils vivent n’est pas franco français mais c’est la planète. Votre marché de l’emploi c’est la planète ! Les opportunités que vous avez sont absolument considérables. Si vous structurez et organisez votre démarche, il y a beaucoup de choses à faire.
Est-ce qu’on est dans un monde dans lequel il y aura plus d’entrepreneurs d’ici 10/20 ans ?
Oui je crois, le monde de l’entrepreneuriat va être de plus en plus valorisé. Il y a une prise de conscience du rôle des grandes entreprises pour tirer les plus petites.
Dans le village de l’innovation : on ouvre nos carnets d’adresse aux entreprises pour qu’elles puissent construire leur avenir. Le rôle des ETI est important.
En France, on a un déficit avec nos exportations : il faut réguler cette dimension-là, à mon sens, c’est le rôle des grosses boîtes de tirer les autres. Exporter ça ne s’improvise pas.
Comment voyez-vous l’école demain ?
J’ai une vraie question sur le modèle économique. Je considère que la seule variable d’ajustement qui consiste à augmenter les frais de scolarité a des limites car dans ce concert-là, je n’aurais jamais pu intégrer l’école or une partie de la richesse de l’école c’est sa diversité.
Cette diversité a tendance à disparaître aujourd’hui et c’est un risque pour l’école. La question du modèle est essentielle. Le fait de rester seul sera durablement un poids lourd à porter. J’aimais bien l’idée de rapprochement avec l’Ecole Centrale de Nantes par exemple, dans une logique de formation duale, et je pense que c’est une voie qu’il faut sans doute explorer encore davantage.
Il faut aussi se différencier des écoles sans prépa qui peuvent venir nous concurrencer. Des jeunes qui n’ont pas exactement le même niveau mais qui se disent à quoi bon faire une prépa, autant faire une école en 5 ans.
On a parlé numérisation mais il faut aussi garder du temps pour des grandes disciplines comme le management.
Il y a aussi des sujets à porter encore davantage comme les valeurs d’écologie, de développement durable : ça aussi c’est une préoccupation des entreprises.
Je recherche aussi particulièrement la capacité d’analyse : par exemple, l’analyse stratégique des secteurs qui peuvent être assez vite uberisés. Aujourd’hui on a du mal à avoir des profils qui maîtrisent bien ce sujet, cette capacité à prendre du recul.
En conclusion, je dirais qu’il faut de l’enthousiasme, de l’enthousiasme et encore de l’enthousiasme ! Quand on recrute, on a envie d’avoir des profils qui restent curieux. En école, les étudiants sont très curieux, ils vont vérifier leurs connaissances dans les livres, sur internet. Parfois quand ils arrivent dans l’entreprise, ils considèrent que cette autoformation est finie et comptent trop sur l’entreprise pour les former.